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Ra(ts) - Recension de Michel Bénard

«  Je n’écris pas pour viser la cible

                                                              mais plutôt pour percer

                                                              la mécanique de sonsténopé… »

                                                              RD. 


Indéniablement Rodica Draghincescu, demeure en permanence face à l’objectif de l’indéfini, de l’inaccompli, de l’entre deux, ou plus précisément dans le Non-lieu. Il ne faudrait pas pour autant en déduire que nous sommes là confrontés à une poésie nihiliste. Non, en aucun cas ! Mais tout simplement à un état de lucidité existentielle. Sa poésie contient toutes ses vibrations matricielles, toutes ses ondes amniotiques mêlées aux contractions de son ventre au féminin, sorte d’état de grâce indescriptible que seule la femme peut connaître et comprendre. En exergue la note résonne déjà, elle donne immédiatement la couleur de la composition, par la voix d’un grand réformateur et penseur mystique allemand du XIVème siècle, Maître Eckart, véritable prince de l’épurement. « Ra(ts) » ? Prétendre pénétrer cette œuvre d’emblée, n’est pas chose si évidente, car la pensée se veut mystérieuse, hermétique, il nous faut trouver la clé appropriée. Rodica Draghincescu, verrait-elle en la poésie une danse rituelle, un sacrifice, une voie conduisant sur un possible retour à l’enfance ? Faut-il rencontrer un mort sur son chemin pour pendre conscience des réalités présentes et retrouver son pays de mémoire ou métaphysique ? Les questions restent en suspend ! Rodica Draghincescu, joue (je(u)) du dédoublement des mots, de l’alternance, elle s’y risque à pile ou face. La poésie est son espace à l’âme nomade, pays bicéphale, voire tricéphale ou chimérique. Son verbe se veut un implacable constat, il porte parfois des relents de défaites, des révélations d’échecs, souvent Rodica Draghincescu exhume les sempiternelles questions sur l’origine de l’être, sur la signification de l’existence. Il y a parfois des réverbérations de fin de temps, sorte de prémices apocalyptiques où souffle un vent de sable chaud et de mirages. Son écriture est très personnelle constante et se déroule à son rythme, tout en érigeant son propre mètre. Nous y croisons, chutes, ruptures, syncopes… ! Les mots nous martèlent la conscience, nous resituent face à l’évidence de la vie, dont l’issue nous échappe, ce qui peut-être est préférable.


« …/… qui fait son premier œuf               en mourant…/… »


Poésie lucide, sans concessions où nous glanons cependant de vers en vers de belles parures imagées.


« L’écume du poème se brise câlinement : …/… »

« La fumée est la folie du feu. »


Pareille à la « soupe étoilée » la poésie a très certainement des dons thérapeutiques,

« Là où la poésie soigne. »   


Nous sommes au cœur des turbulences, des interférences, des effets contraires de la vie et de sa destinée.


L’expression de Rodica Draghincescu nous conduit aussi à la définition du rien, du néant « nada »pour reprendre un vocable cher à Saint Jean de la Croix, en un mot à la dérision, à l’illusion, à l’art « peau de zob ! »


« Ici, c’est nulle part, l’ultime destination. »


Nous sommes immergés dans les jeux de mots, les jeux d’esprit, dans le « Non (j)eu.»

Par cette forme de dérision récurrente il est bien possible que Rodica Draghincescu remplisse la case vide de la poésie, et elle pose ouvertement la question face à cette absence :

« Quelle poésie écrire pour le manque de poésie. »   

« Je proclame le "tais-toi" du poème. »


Petite remarque purement personnelle, il me semble que si Léo Ferré avait pu lire les poèmes de notre amie Rodica, il y aurait retrouvé ses rythmes, ses cadences, ses touches incisives en correspondance et interface.


« J’apprends par cœur la mort dans la vie, je la récite même. »


« J’apprends aux mots à poétiser …/… »


« Mots bourgeonnants    portés à haute température …/… »


« Comme un convoi exceptionnel    aux noces des mots prématurés …/… »


Rodica Draghincescu nous invite à déambuler dans son train de poésie pour un voyage particulier où le terminus n’est qu’une autodérision, le constat d’une absence, d’un néant en instance. Pour conclure, je ne voudrais pas manquer d’adresser un petit clin d’œil complice à Marc Garnier, artiste connu et reconnu, pèlerin de longue date sur la voie chaotique autant qu’incertaine des arts, ici talentueux illustrateur de ce recueil Ra(ts) dont les gravures à la pointe sèche et aquatinte aux nuances sépia avec leurs aspects mystérieux, très épurés linéairement, entremêlé d’un graphisme quelque peu calligraphique, s’associent parfaitement bien aux textes singuliers de notre poétesse ! L’essentiel est ici tout juste suggéré, du verbe à la matière et de la matière au Verbe! Peut-être que Rodica Draghincescu attend encore le miracle de la poésie comme l’enfant attend sa mère qu’il voit soudain apparaître au bout du chemin.    

Michel Bénard. Lauréat de l’Académie française. Chevalier dans l’Ordre des Arts & des Lettres.

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