Il y a deux ans, j’ai lu les Carnets de marche d’Angèle Paoli (Les éditions du Petit Pois, 2010) et j’ai été bouleversée par l’écriture tendue et sensuelle d’Angèle Paoli, écriture qui par moments m’a rappelé ce que j’aime dans The Waves de Virginia Woolf, avec son côté immédiat, physique, haletant, « expérimental » aussi, dans son modernisme. Un souffle puissant qui s’élance de l’avant comme des pas dévalant des sentiers rocailleux. Les mots entraînent le lecteur dans une marche effrenée, saccadée, et vers une perte de soi qui est peut-être nécessaire à l’extinction du feu du « doler », causé par la mort d’un être cher (cf. aussi la mort de la mère de V. Woolf quand elle n’avait que treize ans, et celle de son frère Thoby). La prose poétique d’Angèle Paoli dans Carnets de marche enfle et s’arc-boute, comme les vagues rebelles, contre l’absence : « Marine écrin plexiglas. Cueillir des hellébores et puis rien. Le silence du vent du matin qui gifle et qui grince plein fouet ».
Extraits de Carnets de marche :
Le grand vent d’hier est tombé, la violence des rafales qui balayaient la mer s’est estompée. Le mugissement sourd de l’étendue noire s’est apaisé. Étrange cette sensation qu’elle a du rapprochement de la mer, de sa montée, de son inquiétante proximité, chaque fois qu’elle enfle et se gonfle. Les étoiles perçantes à travers les grandes embardées de nuages exaltants. Tu envies leur fluctuance, leur extravagance, leur ubiquité inconsolable. Leur force tranquille et décidée que rien n’entrave ni n’arrête. Tu penses à tous les exils. Et au tien, bien moindre que celui de tant d’autres.
Chaque endroit où je passe me ramène à mes marches d’hier et à mon cheminement intérieur. Quelle différence entre notre hâte de jadis à nous retrouver et la distance d’aujourd’hui ! Que pourrait-il m’arriver d’autre ? Sinon la résignation.
Sabine Huynh, Terre à ciel, janvier 2013.
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