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Entretien avec Cécile Boisson pour la sortie de "le cèdre et l'ancolie"

EdPP : Tu t’apprêtes à publier ton prochain recueil le cèdre et l’ancolie aux éditions du Petit Pois. Pourrais-tu nous dire quel est le projet à l’origine de ce texte ?


Cécile Boisson : Au départ, comme pour mes poèmes précédents, des sensations et des sentiments (souvent la joie, l’émerveillement, parfois la mélancolie ou la tristesse) que j’essaie de poser, dans des moments très particuliers où je parviens à communier avec la nature, à trouver une harmonie entre dedans et dehors. L’écriture des poèmes de ce recueil s’est échelonnée sur un temps assez long. Il a mûri, traversé les saisons, pendant près d’un an et demi. Au fur et à mesure, j’ai construit ma « cabane » et mon horizon, avec cet ensemble de textes qui me sont des repères forts entre passé et présent.

Chaque poème est une épure de mots, dans lequel tu tentes une recherche de l’essentiel. Est-ce pour toi la forme privilégiée la mieux à même de nous conduire à la nature ?

Mon rapport à la nature est ce qui a construit ma vie dès l’âge de dix-sept ans : faire un beau jardin sur une terre assez aride des Cévennes, au pays de mes racines où je choisissais de vivre. Habiter et rénover une vieille maison en pierres, marcher, tracer des chemins, faire mon bois et jouir des éléments, soleil, sources, granit, feu… amour…entourée d'êtres qui étaient là depuis toujours ou depuis peu et qui m’ont été et me sont précieux. La forme courte (ici le sizain) et condensée correspond à ces états de jubilation ou de contemplation que j’obtiens au jardin, sur les chemins, près des arbres, au milieu de tout le vivant de cette vie, au fil des jours…afin d’en profiter et de m’aider à avancer vers plus de respiration et de sérénité. L’essentiel pour moi c’est bien ce réel que j’ai envie d’approcher toujours mieux, d’apprivoiser, de goûter et de faire partager…au moyen de la parole et de l’écriture. Je ne sais pas si la forme courte est celle qui est le plus à même de parvenir à l’essentiel… j’écris aussi par ailleurs des récits… Pour ce recueil le cèdre et l’ancolie, c’est vrai que les sizains m’ont demandé de concentrer et d’élaguer beaucoup dans la matière mouvante des mots pour toucher la « cible calme » que je vise.

le cèdre et l’ancolie porte en germe dans son titre même le mot « mélancolie » : ce sentiment est-il forcément pour toi lié au paysage ?

Les Cévennes sont mélancoliques, grises et bleues, l’hiver. L’été, c’est une fête de l’eau et du soleil, une fête de tous les sens. Mélancolique, c’est moi qui le suis, ce n’est pas le paysage, qui m’apporte de la joie et de la douceur. Mais plus que le paysage — je n’aime pas trop ce mot, lointain, insaisissable — ce sont les choses du réel qui m’attirent à elles, dans leur lumière ou leur ombre, c’est l’humain qui est mélancolique. L’Ancolie, c’est mon antidote ! Je la cultive, ou bien je la surprends au bord des ruisseaux, alors elle est d’un bleu marine, presque nuit. La mélancolie ici, c’est l’éboulement des murs bâtis depuis des siècles et qui tiennent la montagne, nos jardins et les châtaigneraies. Elle est là, la mélancolie, dans la disparition de ce patrimoine paysan. Je suis fascinée par l’éboulement, le chaos et les traces encore vives des murs et des escaliers des traversiers qui tiennent la montagne. J’aime tracer des chemins sous les arbres, ressentir l’intime de la vie sauvage des plantes et de la faune du lieu. J’admire les « écrivains » des murs en pierres sèches, ceux qui reconstruisent les pentes, ce sont eux les poètes du lieu, les poètes de la mélancolie.

Cette nature par ailleurs nous entraîne vers une forme de sérénité. Les Cévennes, à la source de ton écriture, te portent-elles aussi vers de nouveaux espaces ?

Oui, elles me portent, ces Cévennes-matrice, loin toujours vers de nouveaux espaces… Je ne suis pas une grande voyageuse… mais j’aime lire des heures et des heures l’été, dans mon hamac au milieu des châtaigniers. Les Cévennes sont un archipel d’îles en creux et en ciels, inlassable univers de sensations et de beauté ! J’appartiens à ce lieu, et lui rends hommage, mais tout lieu ressenti au plus profond devient racine, ou qu’il soit, que l’on y soit né ou pas, qu’importe, je crois qu’on se fait ses racines d’air, d’eau ou de feu partout où le regard est juste. L’écriture pourrait se faire racines traçantes là où le cœur respire. Quand je lis Biblique des derniers gestes de Chamoiseau dans mon hamac, dans les feuilles des châtaigniers, je dessine sans voyage des chemins plus profonds…

Une certaine spiritualité émane en effet de tes textes, un vocable religieux émerge même parfois, comment la définirais-tu ?

Comme une sorte d’enthousiasme, en effet. Je suis à l’écoute des souffles du silence et des êtres vivants dans la nature. Ecrire c’est un peu comme bien respirer et jubiler de bien respirer. Je me recueille pour essayer d’approcher au plus près leur réel, leur présence. Ecrire pour moi c’est comme tisser des liens entre ces choses de l’immanence et mon passé et ma vie d’humaine avec ses joies et ses douleurs, c’est l’approche du « corps de la terre » dont parlait Novalis, vers une paix et une harmonie. Quels sont les poètes qui ont pu t’engager et te nourrir dans cette voie ?

J’ai beaucoup, beaucoup lu les poètes depuis mon enfance ! J’ai pour Baudelaire une véritable adoration et pour Novalis, Georg Trakl, Hölderlin, Rilke… qui sont un peu mes phares. J’aime aussi Francis Jammes, Pessoa, Francis Ponge, Eugène Guillevic, Jean Joubert, Salah Stétié. Je me suis nourrie de haïkus ! J’aime une poésie qui puisse donner un accès au réel dans la simplicité et le partage.

A la lecture de ton texte, Stéphan Causse écrit à ce sujet « les mots font entendre la revendication discrète des choses », forme d’animisme peut-être que tu revendiques ?

Certainement, oui, une façon de « venir dans l’ouvert » comme disait Hölderlin, dans un réel fait de choses présentes et de choses rêvées, qui n’existeraient pas sans cette célébration secrète, profonde, qu’est l’expérience d’écrire. Une façon de participer aux autres règnes, de les approcher, pour en revenir plus sensible, plus léger : j’aime imaginer que tout ce que j’ai écrit dans mes poèmes puisse être aussi le rêve d’un cèdre !

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