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Critique de Ra(ts) par Alexandra Joly

Avec Ra(ts), Rodica Draghincescu met fin à un long silence pour faire éclater sa propre vision du monde, de l’homme, de la femme dans sa chair. « Je » tisse des liens avec l’Autre et avec soi. Sa poésie semble à première vue insaisissable, difficile d’accès, hermétique parfois… aussi, pour l’atteindre, faut-il se laisser porter par les mots-clés (l’enfance, le pays, le rien, le noir, le vide, l’absence, etc.), par les sons et par les images. Redevenir enfant, se laisser guider par les sens des souvenirs… Comme dans la poésie rimbaldienne, les couleurs sont vives et les mots composent une musique rythmée qui accompagne le sens : c’est dans l’union du signifiant et du signifié que le « je » se dit, se révèle :

« La fumée est la folie du feu.

L’épithète à neuf volcans qui y met plaisir et

tourne et tourne et tourne

comme une torche-toupie,

brûlant en offrande le souffre du je(u)

que la langue happe pour se purifier. »


Gravure de Marc Granier, "Rat(s)", page 32.

Sa poésie heurte. Les mots révèlent furieusement la violence inhérente à la vie : de la naissance à la mort, le « je(u)» lyrique se débat avec cet univers si étrangement autre et si étrangement soi :

« Non ou

comment

ne pas dire oui au

fil rouge salé

qui mène à un nouveau né par un nouveau mort,

tardant à en rejoindre un autre et un autre et un autre,

différent,

séparé,

mutilé,

distinct. »


La Mort, le Rien, le Temps qui fuit. Le recueil est traversé de part en part par ses idées, fils matriciels inhérents à la vie, sans pour autant verser dans le pessimisme ou le nihilisme. Bien au contraire, la poétesse met ces source anxiogènes à distance, elle les fait siennes en en jouant. Ainsi, dans un jeu quasi oulipien, Rodica Draghincescu décline le rien pour atteindre une authenticité du « Rienissime ». Ici, en jouant sur les adverbes, « Le néant mène toujours au néant./ Le toujours ne conduit nulle part. », là par l’anaphore d’une locution conjonctive :

« Rien que la violence de la pierre qui, en traversant l’eau, frappe le poisson.

Rien que la pluie qui ose donner aux mauvaises odeurs de belles formes.

La ligne droite sans contour. Profonde.

Rien de rien de rien à venir.

Moins que rien.

Muraille invisible.

Nimic.

Vacuité. »


Contre les apparences premières, la poésie de Rodica Draghincescu est empreinte d’une forme d’ironie voire d’humour qui lui permet de garder une emprise sur la réalité de l’existence.

Enfin, la poétesse, maîtresse de ses sens et amie des mots, dévoile une sensibilité à fleur de peau (« Je m’écris en vous écrivant »), composée de ses cultures. Dans         « Pays », poème-chant, Rodica Draghincescu exprime avec tous ses sens sa matrice première, celle qui, enfouie au plus profond de son être, ne cesse de vibrer :

« Pays vert,

pays d’or,

pays de charbon,

pays de sel,

pays de neige,

cher pays du chariot à boeufs de Grigorescu,

dja, dja, dja, dja, dja, dja, dja,

pays bovin, communiste,

venant doucement vers moi,

[…]

Pays,

cher pays,

c’est dans la tradition qu’on boit à ta santé,

comme à celle d’une poitrine allaitante,

le noroc, à genoux. »


Et si, finalement, la vérité de l’homme, la vérité de la femme étaient au carrefour de ces mots, entre les couleurs, entre les sons… quelque part, là où le lecteur trouvera son chemin dans les méandres de ces émotions.


Alexandra Joly

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