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« Le feuillage du monde » - Présentation de Léon Bralda

Si écrire ou graver est effectivement un acte d’appropriation du monde par lequel l’artiste ou le poète peut sonder le réel qui l’entoure, exprimer son « moi » intérieur et éprouver plus encore en sa chair et son esprit l’intime réalité existentielle dont il est habité, il n’en demeure pas moins évident que ces pratiques artistiques participent aussi pleinement, pour leurs auteurs, d’un désir de partage et d’ouverture à l’autre, d’un nécessaire besoin de communiquer, voire de communier, avec autrui et plus encore avec ses pairs… Bref, en ce qu’elles sont le fruit singulier d’une pensée humaine tout orientée sur « l’être-au-monde », les activités créatrices offrent à leurs auteurs maintes occasions d’échange et de partage dont la finalité matérielle peut revêtir des formes bien variées. Ainsi ce recueil que tient dans ses mains le lecteur, s’offre-t-il à la vue sous un format à l’italienne composé d’un ensemble de fragments de poèmes en prose centrés en pleine page et dans lequel s’insère une série de petites gravures en couleur agencées de façon très singulière.


Gravures de Pierre Jourde réalisées pour « Le feuillage du monde »

Le lecteur est alors en droit de se questionner sur les choix esthétiques et poïétiques qui ont présidé à la réalisation de cet ouvrage et de s’interroger sur la genèse d’un tel projet. Il en déduira sans doute que ce recueil illustré relève d’un travail à quatre mains et d’un dialogue inscrit dans le temps long entre le poète et le graveur… que cette expérience de création a nécessité effectivement pour les auteurs des moments de travail en commun, des discussions constructives et argumentées, des essais formels visant à parfaire le dialogue induit entre les textes et les images. Il en viendra sans nul doute à considérer ce livre comme le résultat patenté d’un dialogue éprouvé dans la durée, entre les deux créateurs.


En un sens, il aura partiellement raison : ce recueil a effectivement nécessité pour les auteurs des moments de partage, d’échange bienveillant, d’essais et de remise en cause de telle image ou tel poème qui n’apportait pas suffisamment de prégnance à l’ensemble et n’œuvrait pas au dialogue entre les arts. Mais cependant, cette perception de l’acte de création « partagé » par deux créateurs à des fins de réalisation d’un livre commun nous semble quelque peu superficielle, incomplète, voire erronée. On est en droit de se questionner sur les motivations premières qui ont amené le poète et le graveur à collaborer pour qu’un tel projet puisse voir le jour ? Et de s’interroger aussi sur la primauté, le cas échéant, de la gravure sur le poème ? Ou inversement, du texte sur l’image ?... De même, faut-il se demander quel rôle a pu jouer l’éditeur dans les choix esthétiques et poïétiques qui ont conduit à la pleine réalisation du livre ?... C’est afin d’éclairer ces quelques points relatifs à la genèse de ce recueil qu’une telle postface s’est imposée.


Sans nul doute, ce projet trouve sa légitimité première dans le désir de ses auteurs, amis de longue date, de réaliser ensemble un livre d’artiste dans lequel le travail du graveur et celui du poète entreraient en résonance et offriraient au lecteur un dialogue singulier et sensible entre images gravées et textes poétiques. Ainsi nos deux complices allaient-ils spontanément échanger sur les préoccupations artistiques qui les occupaient alors respectivement dans leur vie au quotidien. Le graveur fit part au poète d’un projet d’estampes qu’il venait de commencer dans son atelier. Il explicita le fait que ce travail consistait en une série de 55 linogravures de tout petit format (8x6 cm), précisant que le nombre et la taille de ces œuvres à venir relevaient d’une réalité circonstanciée : sa sœur, architecte de son état, recevait régulièrement des échantillons de matériaux et lui avait abandonné tout un stock de minuscules plaques de linoléum… La question se posait alors pour lui de savoir ce qu’il pourrait graver sur un aussi petit format. Et d’expliciter alors au poète qu’il envisageait de suivre le conseil prodigué par un pair : « si tu n’as pas d’idées, va dessiner des arbres… » C’est ainsi que l’artiste vint justifier la réalisation à venir de sa série de linogravures, tout en variation, sur le thème des Petits arbres.


Ce dont le graveur ne pouvait se douter à ce moment précis de la conversation, c’est que le poète lui-même était aux prises avec la composition d’un long poème, auquel il donnait les dernières retouches, qui portait pour l’essentiel sur ces grands témoins silencieux de l’activité humaine qu’incarnent les arbres à l’entour du vivre… La suite se déduit dès lors aisément : la proposition d’un travail commun liant les petites estampes d’arbres réalisées par le graveur aux fragments de prose composés par le poète prit tout son sens. Le projet du portfolio intitulé Le feuillage du monde venait de prendre corps, et le travail de mise en forme et d’assemblage des créations poétiques et gravées s’opéra dans un laps de temps relativement court. L’échange et la collaboration entre les deux créateurs furent d’une belle intensité que vint justifier la réalisation de deux coffrets d’artiste construits sur le principe d’une présentation en alternance des deux instances graphiques qui les composaient, formant ainsi une suite de feuillets où se succédaient et dialoguaient poèmes et images gravées.


Dans la mesure où les deux auteurs étaient parvenus à mener à son terme, du moins le pensaient-ils, ce dialogue en terre de poésie et de gravure, le projet aurait pu s’achever pleinement par la réalisation de portfolios datés et signés de leur main… Mais le désir qui les animait tous deux de chercher à divulguer plus avant le fruit de cette expérience artistique commune les amena à solliciter l’attention et l’intérêt d’un éditeur. Ce dernier accueillit très favorablement la proposition et ce faisant, entreprit de riches et bienveillants échanges avec les deux auteurs. C’est ainsi, et dans un dialogue riche et constructif, que le poète et le graveur accueillirent avec enthousiasme les propositions de mise en forme du livre, suggérées par l’éditeur et qui lui conférait une dimension plus à même de correspondre à l’esprit du projet initial…


Ainsi, cher lecteur, s’il est vrai que cet ouvrage dépend ipso facto de la volonté commune à deux auteurs d’unir les fruits de leur labeur artistique, il faut considérer qu’il relève aussi, et pour une part importante, du partage bienveillant et du dialogue constructif que ces derniers auront pu entretenir avec leur éditeur, celui-ci offrant à ce projet « gravure et poésie », une réelle dimension éditoriale qui le fait s’incarner en ce livre, nouvellement accueilli dans la collection « Correspondances », aux éditions du Petit Pois.


Léon Bralda, février 2023

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