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« Il n’est de lieu que la lumière » - Préface de Pierre Dhainaut

Ce livre a deux auteurs : un peintre, une poète. La mise en page d’Il n’est de lieu que la lumière accorde aux peintures comme aux poèmes une importance égale, son unité n’en est pas moins évidente.


Renaud Allirand a évoqué dans une longue suite de peintures un paysage qui lui est cher, la mer d’Iroise qui s’ouvre par-delà la pointe du Raz : la mer de Bretagne apparaît ici délivrée des conventions qui lui sont d’ordinaire attachées, elle peut être « étale » comme elle peut être puissante et violente, elle est le plus souvent bleue. Cette vision-là a frappé Calou Semin pour qui « seul l’intense est véritable »,

elle lui a inspiré ces poèmes qui ne sont en rien des exercices de description. Dans sa rencontre avec l’œuvre de Renaud Allirand, Calou Semin a reconnu son exigence de toujours, elle a ressenti le besoin de l’accroître. Elle est entrée, dit-elle, en « dialogue ».


On est en général embarrassé pour désigner ces travaux réalisés en commun : l’expression habituelle, livre d’artiste, Yves Peyré l’a jugée insuffisante et l’a remplacée par livre de dialogue (1), plus juste. La poésie ne rivalise pas avec la peinture, elle ne s’y soumet pas non plus : en rassemblant les ressources qui lui sont propres, images, rythmes, sonorités, elle répond à ce qui l’émeut, elle le prolonge. Dans Il n’est de lieu que la lumière, poésie et peinture sont inséparables.



« Rien n’est précis », remarque Calou Semin à propos d’une « trouée » : il n’y a rien de précis dans ce que montre Renaud Allirand. Il refuse l’anecdotique et le pittoresque, il ne retient que l’élément naturel dans sa diversité, sa plénitude aussi bien. Nous voici face à la mer comme en son sein. Récifs, rochers, falaises, vagues… il est difficile de saisir des repères ou de tracer des lignes sûres. Les mouvements, les changements sont perpétuels.


Ce à quoi parvient la peinture, nous mettre en présence de cette « [g]éographie du très peu de frontières / où s’arraisonne l’invisible », la poésie n’y parvient que par des moyens détournés, Calou Semin choisit les mots les plus simples, les plus nus, qui surgissent lavés de tant d’usages qui les ont alourdis, elle les juxtapose : à nous d’établir des rapports analogiques plutôt que logiques. Elle se méfie d’une syntaxe trop stricte, ses phrases échappent au temps linéaire, mesuré, inexorable. Nous irons ainsi d’apparition en apparition. Par exemple, « Ciel / si lent ce ciel / si près la mer » ou « sans fin la mer / le ciel, la mer, le ciel, la mer ». La ponctuation n’est pas systématiquement supprimée, mais aucun poème à la fin du dernier vers n’a de point, de bornes.


Dans le « sans fin », les contraires font alliance : l’absence et la présence, par exemple, ne sont pas antagonistes, il existe « une présence-absence ». Calou Semin les a toujours associées, elle ne peut comprendre l’une sans l’autre. C’est ce qui rend son écriture si mobile, si vive. Elle accueille le silence et le sonore, l’éphémère et la durée, le dessus et le dessous, le visible et l’invisible, elle multiplie. Elle apaise et elle attise. Ou l’inverse : elle attise et elle apaise. Son modèle : la houle. À la lecture d’Il n’est de lieu que la lumière, nous entendons la mer autant que nous la regardons. Tout respire, tout vibre, tout se fond. Du flux naît le reflux d’où renaît le flux. Nos définitions n’ont plus cours.


Entre les peintures de Renaud Allirand et les poèmes de Calou Semin la correspondance est parfaite. L’élément commun, la lumière. Elle unit le ciel et la mer, l’air et l’eau, elle est impondérable, elle est substantielle. Sa couleur fondamentale, avec ses nombreuses nuances, le bleu, que parfois blessent des stries rouge sang, rouge bleu. Calou Semin ne manque pas d’en faire l’éloge : « Bleu : temps cristallisé du sensible », c’est « la couleur de l’invisible / Traversé ». Où sommes-nous ? Le monde se dilate ou s’approfondit, éclate ou se diffuse, nous pénètre, nous soulève.


L’œuvre nous communique ce qui l’anime, force et ferveur.


(1) Peinture et poésie, Le dialogue par le livre, Yves Peyré, éd. Gallimard, 2001.


Pierre Dhainaut

 
 
 

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