Véronique & David Zorzi : Bonjour Chloé, vous vous apprêtez à sortir aux éditions du Petit Pois votre premier recueil de poésie intitulé De la joie dans les interstices, pourriez-vous tout d’abord le présenter ?
Chloé Oster : Cela faisait un moment que j’avais envie de travailler autour de la joie : Où prend-elle sa source ? Existe-il des joies universelles ou tout n’est-il connecté qu’à notre histoire individuelle ? Faut-il tâcher de la trouver dans le passé ? Dans le présent ? Dans le futur ? Ou bien faut-il cesser toute recherche et garder confiance, considérant qu’elle finit toujours par surgir au milieu de tout, au moment où on s’y attend le moins ?
De la joie dans les interstices est un récit initiatique dans les broussailles de la vie, faites d’expériences et de rencontres. On se rend compte que les choses graves ne sont pas graves. Et que les choses insignifiantes parfois importent. Au fur et à mesure des textes quelque chose s’apaise et la lumière perce - dans les interstices.
Vous êtes auteure et comédienne, votre écriture développe cette voix haute et forte qui peut trouver son expression dans le théâtre ; elle déroule également une mélodie à laquelle le lecteur se livre avec plaisir. Pouvez-vous nous dire comment s’articulent ces deux arts dans votre poésie ?
C’est assez paradoxal. La poésie me semble être le lieu de l’intime, du chuchoté, de la solitude, de la beauté de l’infiniment petit. Le théâtre et la musique me paraissent être les lieux du partage, du parler haut, du collectif, de la beauté de l’infiniment grand. Et pour autant, l’un va rarement sans les autres. Je ne monte jamais sur scène sans être transportée par la poésie magique qui réunit tous ces êtres dans une salle, ni sans être connectée à la beauté toute simple des mots qu’on a mis dans ma bouche. Et je n’écris jamais de poésie sans me laisser aller à la musicalité des grands cris du cœur, et à l’exaltation de me sentir partie du monde. De mon point de vue, l’Art est un tout et la poésie, le théâtre, la musique, la peinture… ne sont que des langues différentes qui essayent de le raconter.
L’autre est donc très important pour vous, il est une source d’émotions et d’inspirations… Pour vous, quel est donc à cet égard la place du poète dans l'espace public ?
Le poète (et l’artiste plus généralement) a une place primordiale dans l’espace public. C’est parce que certains observent les autres puis mettent leur sincérité et leur compréhension du monde sous forme d’œuvre, que d’autres peuvent ressentir leur propre humanité, vibrer, guérir, réaliser ce qu’ils ont déjà vécu, ou imaginer de nouveaux rêves – autant de réflexions essentielles et salvatrices pour tous les êtres humains. L’artiste est celui qui s’est beaucoup nourri et qui choisit d’emprunter à son tour le chemin de la sincérité et de la recherche d’humanité dans son sens le plus essentiel, dans le but de partager avec le plus grand nombre. Et parmi tous les artistes, le poète est celui, à mon sens, qui a enlevé tous les fards et tous les costumes pour arriver à l’expression la plus pure du sentiment, sans cachette ni subterfuge.
Quels sont les auteurs, les artistes d’hier et d’aujourd’hui qui vous influencent ?
Il y en a beaucoup ! Je suis inspirée par les artistes en général et il n’est pas rare qu’un peintre me fasse comprendre quelque chose d’essentiel sur le jeu ou la poésie. J’admire Rimbaud pour sa puissance, Picasso pour sa force de travail et de réinvention, Proust pour sa vérité, Patti Smith pour sa capacité à réunir la scène et la poésie, Modigliani pour sa mélancolie, Barbara pour sa sincérité, Prévert pour sa fausse simplicité, Brel pour son humanité brute, Camille Claudel pour sa sensualité…
Votre poésie fait une part belle à l’humour, là où certains le jugent inapproprié dans l’espace poétique. Quelle est votre conception de l’écriture à ce sujet ?
J’aime la poésie quand elle permet de mieux voir la vie, dans toute sa beauté et sa complexité. Et aucune situation de la vie, aussi triste soit-elle, ne m’empêche de penser à quelque chose de drôle. Un peu de légèreté est toujours bienvenue. Dans le recueil, l’humour permet en plus de surprendre de temps en temps le lecteur, comme un petit clin d’œil qui lui dit « Je sais que tu es là ».
Je pense également à cette phrase que j’ai entendue plusieurs fois au théâtre : « Fais les choses sérieusement, sans te prendre au sérieux ». C’est une philosophie qui me convient bien !
Autre thématique importante dans votre texte, la mémoire… La mémoire de l’amour, la mémoire de la mère, de lieux divers. La mémoire nourrit-elle pour vous l’écriture plus sûrement que l’invention ?
Je ne m’étais jamais fait cette réflexion… Peut-être parce que j’ai écrit la plupart de ces textes au moment même où je vivais toutes ces choses, ou dans les quelques heures qui ont suivi ! Quoi qu’il arrive, la vérité de la vie nourrit plus ma poésie que l’invention. C’est très différent pour le théâtre et l’écriture romanesque mais comme je disais plus haut, la poésie est pour moi le lieu de la Vie avec un grand V, sans fard ni artifice. La poésie me touche quand elle part du réel pour aller droit au cœur du lecteur, c’est donc également en partant de la « vraie vie » que j’ai envie de l’écrire.
La couverture du recueil est illustrée de deux de vos photographies. Est-ce une autre forme d’expression que vous pratiquez régulièrement ?
Oui, j’aime beaucoup la photographie. Mes deux pratiques les plus importantes sont l’écriture et le jeu théâtral, mais la photographie, la peinture et le dessin me permettent parfois de me promener ailleurs pour exprimer d’autres choses. Malgré mon amour inconditionnel de la langue, je prends beaucoup de plaisir à retranscrire de temps en temps une ambiance ou une émotion, simplement avec des formes et de la lumière.
Nous vous remercions Chloé pour toutes ces réponses qui permettront au lecteur d’aborder votre livre sous un autre jour.
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