Véronique & David Zorzi : Avant de commencer cet entretien destiné à éclairer la sortie de Feu d’argile périssable, peut-être faut-il rappeler brièvement l’histoire de cette publication ? Nous vous avions indiqué notre souhait de reprendre la couverture de Feu de paille minimal qui ne nous satisfaisait pas et à cette occasion vous nous avez indiqué que ce recueil avait été écrit en même temps qu’un autre et qu’ils constituaient un diptyque. Il nous a alors semblé évident de publier les deux ouvrages avec des couvertures associées, le tout formant une œuvre cohérente.
Pourriez-vous nous indiquer plus précisément quel est le sujet de ce diptyque et de quelle manière il s’articule ?
Calou Semin : Tous les poèmes de ce diptyque trouvent leur origine dans l’élan, la recherche, puis le devenir d’un désir amoureux naissant. Cela se décline par éclats, avec une sensibilité et une tonalité différente selon chacun des protagonistes. Une voix féminine, une autre très certainement masculine, mais une commune exigence d’authenticité. Il s’agit d’une déclinaison possible et contemporaine (même si ces textes ne sont pas tout à fait récents) de ce thème universel qui alimente tant de poèmes, récits, chansons, œuvres de fiction de toute nature, depuis toujours (il est d’ailleurs vraisemblable qu’il en soit ainsi longtemps encore). Les textes s’articulent de manière chronologique, comme une montée puis un déclin, ou un feu qui s’éteint.
Cet échange de voix comme de cœurs entre le masculin et le féminin s’inscrit-il sous des influences d’écriture ? Comme celle du théâtre classique par exemple ?
De façon indéniable, j’ai été très marquée par la poésie intense de René Char, toute de fulgurances, mais aussi, de manière plus discrète peut-être mais non moins décisive, par la légèreté apparente, la grande musicalité, et peut-être surtout par ce qu’un critique (dont je ne me rappelle malheureusement pas le nom) a appelé le « je universel de Paul Eluard ». Une voix singulière s’adresse à un autre singulier pour aller au-delà du singulier.
J’ai une formation d’hispaniste, j’ai découvert très tôt et profondément aimé les formes narratives, pas toujours mais souvent très elliptiques du Romancero espagnol, ainsi que les formes brèves et particulièrement intenses des Coplas du flamenco. Là, comme dans une grande partie du répertoire traditionnel dramatique ou musical, on trouve fréquemment une adresse directe du locuteur à l’auditeur, spectateur (ou aujourd’hui lecteur). Tout cela s’inscrit dans une très longue histoire.
Avec le recul, je me suis aperçue que ce que j’écris peut assez souvent s’apparenter à une ébauche de dialogue, avec un certain nombre d’injonctions. Cependant je ne peux m’empêcher de penser aussi, à un niveau différent, à une sorte de monologue introspectif, même si cette formulation me semble un peu pompeuse et déplacée pour une forme que j’ai voulue légère. Je ne saurais vraiment expliquer cela, si ce n’est peut-être parce que j’ai vraiment conscience que tout ce que je peux dire correspond à une vision très subjective.
Je ne sais si l’on peut parler d’influences du théâtre, que j’aime vraiment mais que je connais peu, vivant à la campagne depuis longtemps, ce qui ne favorise pas une pratique de spectatrice assidue. Je garde cependant un souvenir très vif de plusieurs spectacles auxquels il m’a été donné d’assister, mais il est vrai que je suis habitée par la sonorité de l’alexandrin classique, même si ce que j’écris peut sembler très éloigné de cette forme. A mon sens, d’un équilibre et d’une élégance rarement égalés, l’alexandrin habite toujours profondément notre langue, où il résonne, même s’il n’est pas très visible ou dit à haute voix.
Votre question me permet d’imaginer ce que pourrait être une lecture par deux comédiens et en alternance des poèmes des deux recueils, et je dois dire que l’idée me séduit beaucoup.
Le thème de la lumière est omniprésent dans les deux textes. Quel rôle lui attribuez-vous ?
Comme le désir d’amour, le désir de lumière me paraît constitutif de l’humain, même si cette formulation est un peu grandiloquente. Personnellement, j’ai du mal à supporter longtemps le manque de lumière naturelle (celle-ci pouvant aussi être un feu ou la lumière d’une bougie). La nuit, que j’aime profondément, n’est si belle que par la présence de la lune et des astres, ainsi que par la certitude de la renaissance progressive du jour, qui déclinera toutes ses variations de lumière.
Cela est sans nul doute excessivement banal, mais il m’est difficile de dissocier vraiment l’intériorité humaine, et a fortiori les relations de couple, de l’opposition obscurité/lumière, même si les nuances peuvent varier presque infiniment.
Malgré son issue malheureuse, il nous semble que cette histoire peut être aussi œuvre de construction. Qu’en est-il ?
Oui, bien sûr, car ces deux recueils sont profondément ancrés dans la légèreté de la jeunesse. Pour des êtres en construction, tout paraît possible, et le temps semble illimité. Il ne s’agit pas de nier la tristesse quand elle vient, mais rien ne doit arrêter la vie, dont l’essence est d’être toujours en mouvement. L’alternance de joies et de chagrins étant indissociable de la formation de l’individu, aucune issue, pour douloureuse qu’elle paraisse, ne doit être dramatisée. Seule importe vraiment la sincérité, vis-à-vis de soi-même et de l’autre.
Il est rare que la vie sentimentale soit constituée d’un seul et même grand feu ; il faut alors, quand on est jeune, en allumer plusieurs, dont on recherchera moins la durée que l’intensité.
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