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Entretien avec Éric Bouchéty pour la sortie de « Sur les causses d'Aumelas »


Les éditions du Petit Pois : Bonjour Éric, vous publiez aux éditions du Petit Pois un recueil intitulé Sur les causses d’Aumelas. Peut-être, en guise d’introduction, pourriez-vous nous indiquer à quel lieu renvoie ce titre et quel lien vous nouez avec ce territoire ?

 

Éric Bouchéty : Bonjour et merci pour cet entretien. Je connaissais déjà les causses mais ne m’y étais jamais rendu auparavant, jusqu’à il y a environ deux ans. J’ai d’emblée été touché par l’étendue et le vide auxquels nous confient ces lieux. Cette sensation de plénitude solitaire était comme quelque chose que j’avais toujours cherché, peut-être même sans le savoir. J’ai tout autant été touché par une nature aussi discrète qu’omniprésente : les narcisses, les jonquilles, la gentiane et la cistre par exemple. En outre, l’attention aux rochers, au frémissement du vent dans les hêtres, aux cieux plus larges le long des landes, tout cela est venu en quelque sorte régénérer mon vocabulaire et permettre d’autres formes à mon écriture. Je dois avouer à cet égard que les causses d’Aumelas, si elles m’ont plu comme celles que j’ai pu découvrir en Aveyron et plus particulièrement dans l’Aubrac m’ont touché aussi à cause de l’homophonie avec « homme las ». En effet, ces paysages sans but où l’on peut se retrouver seul et silencieux m’ont vite suggéré l’idée d’un voyageur ou d’une voyageuse dont on saisirait l’image dans un moment à la fois de plénitude et d’abandon. Dans tous les cas, ces paysages de garrigues ont tout de suite signifié pour moi les idées jointes d’une grande intimité et d’un déploiement très fort dans l’espace naturel. Il y avait là sans doute une profondeur à écrire.

 

En ces paysages que vous décrivez s’inscrit souvent une action d’un temps passé. Une rêverie à laquelle j’avoue me livrer avec beaucoup de plaisir. La poésie est-elle pour vous le moyen de garder trace de ces souvenirs fictifs ou réels ?

 

Illustration de Éric Bouchéty.

Les causses sont des paysages hors du temps. On se prend à penser que des générations bien antérieures aux nôtres ont connus les mêmes. A travers ces espaces comme coupés de tout, j’ai ainsi pu penser à des histoires qui s’inscrivent dans des souvenirs ou des imaginaires collectifs, des histoires de pâtres, de braconniers, de villages de campagne. J’ai pu y retrouver des moments d’hiver dans la brume des plaines ou le givre des plateaux, des sensations et des sentiments que j’ai parfois fait passer dans des « histoires ».  Cela faisait très longtemps que j’essayais de pouvoir transformer en œuvre la lecture d’auteurs qui avaient pris la nature comme terrain d’expression. Je pense, entre autres, à La Symphonie pastorale, d’Andrée Gide, aux Forestiers de Thomas Hardy, à toutes les fois où il a été question des steppes chez les auteurs russes, aux métaphores sur les landes du pays de Galles de Dylan Thomas ou même à certaines chansons de Jean-Louis Murat telles que « Le troupeau » ou « Perce-neige » auxquelles je reste très attentif. Les causses m’ont offert ce territoire d’expression et plus particulièrement de récit.

            J’ai mis longtemps avant de retrouver le sens du narratif dans ma poésie. J’ai le sentiment que lorsque la poésie moderne retrouve le récit, aussi allusif qu’il puisse être, c’est un peu comme quand la musique contemporaine retrouve la mélodie : après avoir tant cherché dans les dissonances, dans le refus de la rime ou l’attention maladive à celle-ci et dans les figures de style audacieuses, être capable de raconter en poésie me semble être une vraie chance, pour moi du moins, une respiration retrouvée.

            Dès lors, les temps du récit se sont imposés : le passé simple, l’imparfait,… Or, pour reprendre les termes de votre question, ils ne m’ont pas permis de garder trace de souvenirs particuliers. L’émotion que j’ai essayé d’infuser dans mes poèmes serait cette trace s’il fallait en trouver une personnelle. Les temps du récit, qui sont aussi ceux du passé, me permettent surtout d’inscrire ces actions dans un univers justement hors du temps, coupé de notre situation. Remarquablement, j’ai retrouvé dans l’emploi de ces temps verbaux l’aspect insulaire propre aux causses. En outre, j’ai toujours l’impression (en fait, la certitude) que les notions d’immanence, de coïncidence absolue entre l’être, la parole poétique et le monde s’inscrivent dans une cassure fondamentale : l’immédiateté est toujours à reprendre. C’est ainsi que lorsque je parle d’un berger qui doit quitter une terre qu’il a mise sur brûlis, j’écris de lui : «  l’âme vagabonde souffla sur les braises / ses prochains couplets. »

 

Chacun de vos poèmes nous montre une attention à l’espace qu’occupent les mots sur la page : césures, blancs, tabulations… Votre conception du poème rejoint-elle en ce sens votre attrait pour la peinture ?

 

La peinture ne constitue pas une référence majeure dans la disposition de mes textes même si elle reste une source d’inspiration indéniable. Je penserais alors aux Landscapes de Gerhard Richter (le Grand paysage de Teide, par exemple), à Turner, à Millet, à d’autres encore. Toutefois, la spatialisation de mes textes vient surtout de mes lectures d’autres poètes : j’ai découvert adolescent ou jeune adulte Un Coup de dès jamais n’abolira le Hasard, de Stéphane Mallarmé, et ça n’a plus jamais été pareil pour moi après. L’idée que les décalages, les espaces, le blanc de la feuille enfin, puissent former une ponctuation à part entière a peu à peu imprégné mon style. J’ai longtemps travaillé l’alexandrin et les autres prosodies ce qui m’a permis d’apprivoiser les effets d’enjambement, de rejet et de contre-rejet. Mais, il fallait que ça devienne naturel ET significatif. Puisque la poésie est aussi une forme ( vers, versets, strophes, etc.), il s’agissait pour moi de poursuivre cette démarche formelle de manière à ce qu’elle soit aussi nécessaire au poème que le reste. Dans la poésie de E.E Cummings, la typographie est inséparable du propos, par exemple. Sans vouloir aller sur des territoires aussi marqués, la mise en espace des mots dans le texte me paraît très importante : elle donne un rythme signifiant et instaure un dialogue entre les mots et le silence du blanc de la page. C’est ce que j’ai pu essayer d’atteindre en écrivant :

« Il n’y avait aucun lieu

pour nos rencontres :

Les yeux fermés, un grain de peau

                                                           puis ce silence

qu’on comprenait. »

 

            La mise en page de mes textes regardent aussi vers l’aspect plastique d’une partition. Quand j’étais universitaire, j’ai rédigé un mémoire sur Stéphane Mallarmé et Pierre Boulez. A cette occasion, j’ai pu « lire » (à tout le moins : « voir ») la partition de la 3ème Sonate pour piano de Boulez et je reste très touché par la beauté graphique de celle-ci, à mi-chemin entre le labyrinthe et l’œuvre musicale en soi.

 

Profondément mélomane, pourriez-vous nous indiquer, Éric, vos goûts musicaux ? Influencent-ils votre écriture ?

 

La musique est très importante pour moi, autant que la littérature ou que l’air, je crois, sans vouloir verser dans le mélodramatique ! Nous avons tous été, sans vouloir non plus tomber dans des poncifs, bouleversés par une musique, une chanson, peut-être plus d’une fois, en tout cas je le souhaite à tout le monde : j’ai été à partir de mon adolescence indéfectiblement conduit à creuser ce bouleversement. Donc, parler d’influence est difficile parce que tellement évident que je ne saurais par où commencer. J’adore certains compositeurs de musique contemporaine : Boulez, Bério, Xu Yi, John cage, etc. Je les aime pour leur capacité à redéfinir l’espace musicale comme des paysages dont le champ d’écoute est très large. Je reste cependant très marqué par la musique romantique : Beethoven en premier amour sûrement. A partir de là, la liste n’est presque pas exhaustive. J’ai une grande passion pour le jazz aussi : John Coltrane surtout et tous les héros du Bop. L’improvisation, cette « composition » sur le vif, dans l’énergie même du souffle est très importante pour moi. Je la trouve passionnément romantique et elle m’inspire beaucoup. Penser encore et toujours à l’énergie folle de Charlie Parker qui choisit les moyens les moins évident pour sa musique, le tout en pleine ségrégation, me remplit d’admiration et d’émotion. Et la mélancolie de Chet Baker quand il murmure My Funny Valentine

            D’ailleurs, je n’oublie pas la chanson parmi tout ce qui me marque dans la musique. Le recueil « Sur les causses d’Aumelas » doit une part secrète à la pochette de Harvest Moon de Neil Young où l’on voit en noir et blanc la silhouette du loner sur un champ désert : j’ai toujours pensé que les plis de son vêtement étaient des ailes repliées. Des chansons, donc, comme j’ai pu en citer auparavant, beaucoup de chansons.

            Ah : et puis, je suis un peu musicien. Après l’achat comme tout le monde d’une guitare à l’adolescence, j’ai appris la composition en autodidacte et j’ai passé de longues heures à aligner des notes sur des logiciels de musique sans doute surtout par envie de passer un coup d’œil de l’autre côté du miroir. Sans être allé bien loin, il m’en reste sûrement quelque chose dans l’écriture.

 

Enfin, pour clore ce bref entretien, auriez-vous quelques pistes de lectures à nous offrir, d’auteurs connus ou moins inconnus que vous aimez ?

 

Eh bien, c’est toujours un plaisir de partager ces goûts et découvertes en lecture. Je ne sais plus si c’est Apollinaire, Mallarmé, Baudelaire ou les Doors qui m’ont en premier poussé à écrire mais je les emporte toujours au fond de moi. Je recommanderais donc toujours les Tombeaux que Mallarmé au dédié aux poètes et que Pierre Boulez a par la suite mis en musique, et dans la foulée, Alcools, d’Apollinaire, La Prose du Transsibérien, De Blaise Cendrars, Un poète à New York de Llorca dont les modernités, pour moi, n’ont pas pris une ride. Plus loin : L’homme approximatif de Tristan Tzara, René Char, Saint-John Perse, les poèmes d’Yves Bonnefoy (en particulier Du mouvement et de l'immobilité de Douve), Howl D’Allen Ginsberg (en bilingue aux éditions Christian Bourgois) et enfin je dirais qu’il faut lire et s’emporter avec.

            Pour vous citer quelques œuvres plus récentes, j’aurais plaisir à vous recommander Jusqu’au jour de Jean Le Boël, Depuis toujours le chant de Gérard Bocholier ou encore les Chemins dérisoires de Jean-Claude Tardif. Ces trois poètes s’occupent respectivement des revues Écrits du Nord, Arpa et A L’index. J’ai eu le plaisir de pouvoir faire figurer quelques poèmes dans celles-ci. Sinon, je n’ai pas encore fini de lire Le Livre des recels, de Marie Étienne -c’est puissant et singulièrement profond- je découvre progressivement Grammaire du vide d’Aurélien Dony, Patienter sous les nuages de Richard Rognet et l’impressionnant Le Tigre Absence de Christina Campo. Côté roman et prose, je recommande vivement Histoires de la Nuit de Laurent Mauvignier, puissant comme un très long coup de poing. Je ne saurais trop conseiller enfin Triste Tigre de Neige Sinno : témoignage bouleversant tout autant qu’œuvre littéraire aussi originale que profonde. Nota Bene : je me suis fait bibliophile depuis quelques temps pour pouvoir lire les Aventures de Harry Dickson écrites par Jean Ray. Ces nouvelles ne sont hélas plus rééditées ; il faut les chiner. Entre Sherlock Holmes et Fantomas, c’est un bonheur d’inventivité dans un style très élégant.

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